Haïku et pratiques narratives ? Philippe Martin, coach et praticien narratif a participé au dernier SPOC 2018, cette formation digitale* à l’écriture de haïku en coaching et en teambuilding. Formé aux pratiques narratives, il dévoile la force de l’écriture de haïku pour aider les clients à tisser de nouvelles histoires de vie et à sortir de leurs difficultés. Il a accepté de partager son point de vue sur la façon dont l’écriture de ces petits poèmes japonais en 17 syllabes est venue renforcer sa pratique de coach.
Chaque haïku écrit en coaching ou en teambuilding est une pierre de gué pour traverser un changement, une difficulté, une transition sans se laisser emprisonner par le complexe ou entraîner par les courants contraires…
Redessiner son identité en permanence
Danielle : Avant de nous éclairer sur l’intérêt de l’écriture de haïku dans une pratique de coach et de teambuilder, veux-tu resituer ce que sont les pratiques narratives en coaching ?
Philippe : A l’origine, les pratiques narratives ont été développées par deux travailleurs sociaux et thérapeutes, Michael White et le néozélandais David Epston. Tous deux étaient thérapeutes, notamment inspirés de Gregory Bateson. La force de ces pratiques, c’est de focaliser l’accompagnement sur le client, non sur le problème. Le client est au centre, il a la compétence pour mener sa vie; le problème, d’une certaine façon, l’emprisonne; il est «enchaîné» par des histoires négatives qui l’empêchent d’être lui-même et de réussir.
Danielle : Tu veux dire qu’avant de traiter un problème, le coach accompagne un client en quête d’identité et que l’accompagnateur est là pour l’aider à faire émerger cette identité?
Philippe : D’une certaine manière oui, mais l’identité, en pratiques narratives, n’est pas conçue comme quelque chose de figée; elle se définit et se redéfinit en permanence en fonction de ce que la personne se raconte sur elle-même et en fonction de ce que les autres disent sur elle.
L’agir suit l’être
Danielle : Cette question de l’identité est, à mon sens, centrale en coaching. Dès mes débuts comme coach, en 1998, une petite phrase d’Aristote s’est invitée dans ma pratique: «l’agir suit l’être». Quand, à l’époque, certains collègues parlaient de faire émerger le champion qui sommeille en chacun, je suis plutôt positionnée comme coach d’identité. Je voulais mettre l’accent sur l’être, l’exploration des ressources, ce qu’aujourd’hui j’appelle l’ADN professionnel, avant la performance. Pour moi, il n’était pas possible de travailler la montée en puissance de la performance d’un coaché, individu ou équipe, sans faire le détour par un travail, en profondeur, sur l’identité.
Philippe : Je te rejoins tout à fait; personnellement, j’ai été tout de suite aimanté par les pratiques narratives, car c’est une démarche qui ne «pathologise» pas les gens. Elle s’utilise autant en coaching qu’en thérapie. La personne accompagnée n’est pas vue comme quelqu’un de malade; elle est juste en difficulté, coïncée par une histoire dominante handicapante. A cause de difficultés traversées, elle se raconte une histoire négative sur sa vie, sur elle-même et sur les autres. Fusionnelle avec son problème, elle s’identifie à lui et finit par se vivre comme le problème, avec toutes les conséquences négatives, en particulier en termes d’estime d’elle-même.
La première chose que je fais, d’ailleurs, en tant que coach narratif, c’est, d’aider la personne à prendre du recul et à remettre le problème à sa place.
Danielle : n’est-ce pas ce que l’on appelle, en coaching, «passer en position méta» pour essayer de changer de lunettes et pour découvrir notre réalité dans toutes ses potentialités ?
Philippe : c’est exactement cela; le praticien narratif va aider la personne à prendre conscience qu’elle peut raconter son histoire de multiples façons, autrement, en évitant de se focaliser sur les problèmes, que son identité est beaucoup plus riche que ce qu’elle en a percevait jusque là. Il aide le client à rendre visible une histoire nouvelle et positive, dans laquelle les problèmes restent présents, mais sans prendre toute la place, sans, disons-nous, saturer la vie de la personne.
Danielle : peux-tu nous donner un exemple?
Philippe: je pense, par exemple, à ce consultant qui s’était retrouvé, peu à peu, « condamné » à ne traiter que des petits projets, sans relief et sans reconnaissance, à tel point qu’il se considérait comme plutôt incompétent et qu’il n’osait plus se montrer. Nous avons travaillé ensemble à lui redonner autorité sur sa vie professionnelle, à tel point qu’il s’est autorisé, à nouveau, à se montrer, à mettre en valeur ses succès et à postuler pour des missions beaucoup plus ambitieuses – et surtout, à les obtenir de sa direction…
Danielle : Comment as-tu fait cela?
Philippe : pour qu’il retrouve du « jeu » par rapport à ses conclusions identitaires négatives, nous avons tout d’abord fait un travail d’externalisation de cette supposée incompétence.Puis, nous sommes employés à mettre à jour les nombreuses expériences de vie professionnelle qui ne cadraient pas cette définition de lui-même, ce qui lui a permis de retrouver de la confiance et de se reconnecter avec ses compétences, ses valeurs, ses espoirs et son éthique personnelle.
L’alignement tête-corps-cœur
Philippe : Pour tisser de nouvelles histoires, je vais accompagner la personne à relier entre eux des événements de sa vie qui apparaissent comme des exceptions au problème qu’elle décrit, à les éclairer à la lumière de ce qui construit son identité « intentionnelle », ses intentions, ses croyances. En pratique narrative, nous parlons du «paysage de l’action» – à savoir ce que les personnes vivent ou ont vécu – et de «paysage de l’identité» – à savoir les buts, les rêves, les valeurs, les espoirs. Tout l’art du praticien narratif, c’est d’aider la personne à tisser de nouvelles histoires en tissant ou en retissant du lien entre ces deux paysages.
Danielle : D’une certaine manière, tu essaies d’aligner ou de réaligner les personnes sur ce qu’elles vivent, sur leurs valeurs, leurs buts, sur les gens importants pour elles. Personnellement, je parle d’un alignement «nous-psyché-soma» ou «tête-cœur-corps» et j’aime y ajouter une quatrième dimension, celle du «pneuma» du souffle, proche du Qi, de l’esprit vital chez nos amis asiatiques.
Philippe : oui, c’est tout à fait cela. A mon sens, c’est ce travail, au sens d’une gestation, qui permet au client de devenir auteur de sa vie, d’arrêter d ‘être agi par les événements et de reprendre autorité sur sa vie.
Les haïku, expression de fines traces d’une nouvelle histoire
Danielle : et comment l’écriture de haïku a pris place dans cette pratique ?
Philippe : Pour permettre au client de tisser des nouvelles histoires, je dois souvent partir, avec lui, à la recherche de fines traces, événements positifs, si petits soient-ils, qu’il pourra mettre en avant et à partir desquelles il pourra écrire cette nouvelle histoire. C’est là que le haïku intervient.
Danielle : Oui, peux-tu nous en dire plus ?
Philippe : Avec le haïku, on est dans un monde d’images; le client va réinterpréter la réalité de ce qu’il vit en s’appuyant sur des images, des ressentis. Et cela fait toute la différence; le haïku permet de raconter son histoire d’une autre manière.
Danielle : Et comment, a ton sens, ce petit poème en 17 syllabes peut faire cela?
Philippe : En saisissant un instant de vie, un moment éphémère, le client accède à une nouvelle façon de voir son histoire. Le haïku cristallise quelque chose de nouveau, comme le haut d’un iceberg. C’est un excellent support pour obtenir ce que tu appelles « la pépite » et ce que les praticiens narratifs nomment «les fines traces» d’une histoire positive au milieu d’un océan de problèmes qui, parfois, sumerge nos clients.
Danielle : 100% en phase avec toi. J’ai souvent remarqué qu’écrire un haïku a la vertu d’arrêter la pensée, de stopper le petit vélo dans notre tête qui tourne en boucle les mêmes pensées, inlassablement sans pouvoir en sortir. C’est aussi la vertu de l’écrit…. Cortazar, cet écrivain argentin ne disait-il pas «l’écriture mène l’enquête», soulignant la puissance de l’écriture pour faire émerger des choses inconscientes. Est-ce que cette écriture de haïku est complémentaire à d’autres formes d’écriture, en pratique narrative ou est-elle totalement nouvelle?
Philippe : en pratique narrative, on ne fait pas écrire les clients; par contre, le praticien narratif, lui, écrit souvent, pour différentes raisons, pour faire un retour au client sur les choses qu’il entend … en écrivant, par exemple, un ensemble de mots, à la fin de une séance. Avec la proposition de faire écrire le haïku au client lui-même, on fait un pas de plus. Un pas fécond qui implique encore plus le client sur son chemin de métamorphose.
Danielle : Merci Philippe de ce bel échange qui donnera, je n’en doute pas, envie à d’autres coaches, teambuilders, superviseurs de devenir « haïku pratiquants » pour mieux maîtriser cet outil avant d’en enrichir leur pratique auprès des coachés, individus ou équipes.
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* Cette formation est dispensée par l’organisme de formation Graines de Sol / altérité®, référencé Datadock