Cet interview est né d’une rencontre, lors d’une table ronde à Valpré, organisé par Credo Working : une rencontre inattendue entre Yann Roubert, PDG du LOU Rugby et Danielle Birken, coach d’équipe et superviseur de coachs.
Danielle – Yann, vous êtes PDG du LOU Rugby à Lyon – LOU comme Lyon Olympique Universitaire. Après une formation en école de commerce et une carrière dans l’événementiel chez SFR et GL Events, qu’est-ce que vous a attiré dans cette fonction de dirigeant d!un club de Rugby.
Yann – Le projet et le potentiel sportif avant tout ! Mais aussi la gestion d’équipes et d’activités diversifiées. Avec environ 40 M€ de chiffres d’affaires et 200 salariés, le LOU Rugby c’est, au-delà de la gestion d’une équipe de sportifs qui reste le coeur de tout, l’organisation d’une brasserie, l’accueil de 250 évènements annuels au MatMut Stadium, la co- production d’un festival de musique, de la promotion immobilière et bientôt de l!hôtellerie. J’ai rejoint le LOU Rugby, il y a 10 ans, car j’aime le rugby, un sport qui rassemble. J’ai estimé qu’il y avait un gros potentiel de développement à Lyon, avec son terreau rubystique fertile, sa large population et son potentiel économique : 60000 licenciés dans une centaine de clubs. J’avais envie de contribuer à la croissance du LOU Rugby en cherchant les moyens de développer ce sport au plus haut niveau.
Danielle – Le club vient de décrocher, en mai dernier, son premier titre de champion européen en rugby, contre Toulon. Quel est votre secret pour gérer l’équipe de sportifs ?
Yann – Je ne pense pas qu’il y ait de secret. J’ai la conviction que nos résultats sont le produit de nos talents multipliés par notre cohésion. C’est un peu comme en entreprise. Il faut d’abord recruter les meilleurs. Il faut écrire un projet, donner un cap et le partager avec l’équipage. Et comme le plus beau des projets repose sur les hommes et les femmes qui le portent, il faut avoir les meilleurs à leur poste.
Danielle – Et comment attirez-vous les meilleurs ?
Yann – Sur les 45 joueurs de l’équipe, je suis amené à en remplacer 5 à 10 par an. Cela veut dire qu’il y en a 35 qui garantissent la continuité. Pour choisir les nouveaux, l’important, c!est de bien identifier les besoins de l’équipe. Puis je travaille main dans la main avec le manager sportif et le staff, pour trouver les meilleurs. Contrairement au recrutement en entreprise, nous pouvons pré- sélectionner des candidats en les observant directement sur le terrain pour évaluer leurs performances, comme une sorte d!assessment. Enfin, je rencontre les joueurs, en équipe avec l’entraineur : on suit notre intuition tout en la challengeant avec une grille de critères très précis, résultats concrets lors des matchs, comportements en groupe, avis du médecin du sport, état d’esprit général et surtout motivation pour intégrer le club : parce que le succès, dans le Rugby, passe par la cohésion de l’équipe.
Danielle – Comme dans tout sport ou plus ?
Yann – Je ne veux pas paraître présomptueux mais je dirais un peu plus. D’abord, parce qu’un match de rugby, ça se joue à 15. Il y a peu de place pour les « stars ». En plus d’être un sport collectif de ballon et d’évitement, le rugby est un sport de combat : les joueurs sont ultra dépendants du talent et de la solidarité des autres. Coacher une équipe de rugbymen ou de rugbywomen, c’est créer suffisamment de confiance entre les joueurs pour qu’ils acceptent une forte interdépendance car, entre eux, la solidarité est physique. Il y a un côté, on part à la guerre, ensemble, alors il faut s’aimer !
Danielle – Et comment contribuez-vous à cimenter cette solidarité ?
Yann – On fait du teambuilding, comme en entreprise.
Danielle – Du teambuilding ou du coaching d’équipe ?
Yann – Du teambuilding. Le coaching de l’équipe, c’est le rôle du coach sportif. Il travaille au quotidien avec les joueurs pendant les entrainements. Là, je parle plus de teambuilding. On part ensemble, en stage, quelques jours au vert pour créer un climat, le cultiver, l’entretenir, on revisite les règles inhérentes au club. Il y a des rites. Quand on intègre un nouveau joueur, par exemple, il subit un bizutage sympathique. Et dans l’année, tous les joueurs présentent leur histoire, tour à tour devant le reste du groupe : parce que la force du LOU est dans la meute et la force de la meute est dans le LOU. C’est capital car Il y a un côté commando en rugby : il faut que les joueurs se connaissent d’homme à homme pour bien s’entendre et s’engager ensemble vers la victoire.
Pour créer ces conditions, on organise aussi, toute l’année un challenge en 4 équipes – les canuts, les résistants, les lugdunum et les lumières – qui participent à des épreuves extra-sportives : course d’orientation dans Lyon, cuisine chez les brasseries Paul Bocuse partenaires du LOU, découverte de notre actionnaire GL Events….
Danielle – Diriez-vous qu’il faut devenir une bonne bande de copains ? N’est-ce pas un peu « dangereux» s’il y a trop d’affects ? Certains de mes clients me demandent parfois du teambuilding quand ils se connaissent trop, dans l’équipe, et qu’ils n’osent plus se dire la vérité en face, laissant s’installer entre eux, une forme de complaisance.
Yann – Vous avez raison, il faut faire attention à ce que cette solidarité n’empêche pas le parler vrai, dans l’équipe. C’est pourquoi, au LOU Rugby, nous sommes un club où l’on se dit les choses directement même quand elles ne font pas plaisir.
Danielle – Et comment vous y prenez-vous ? J’entends d’ici les critiques de certains de mes coachés qui se plaignent des valeurs promulguées à grand renfort de chartes dans l’entreprise, mais non respectées parfois par la hiérarchie elle- même.
Yann – 100% d!accord. Il ne faut pas se contenter de bonnes intentions. Au LOU Rugby, nous avons mis à profit les confinements successifs pour structurer la LOU Attitude à travers 5 piliers : LOU Green, LOU Féminin, LOU Santé, LOU Citoyen et LOU Territoire. Au delà de les promouvoir, on essaie de les faire respecter concrètement. A cet effet, l’équipe a mis en place un système ludique de « sanctions», une roue des gages. Je dois moi-même m’y soumettre. Si par exemple, je suis en retard un matin pour une réunion, la roue tourne et je reçois un gage, au hasard, comme payer un coup à boire, ou troquer ma voiture pour rouler une semaine dans notre vieille Loumobile toute pourrie… Quand la transgression est vraiment sérieuse, la sanction peut aller jusqu’à la baisse du montant de la prime salariale d’éthique et d’assiduité. En tout état de cause, il ne s!agit pas de plomber l’ambiance. Il s’agit d’un rappel à l’ordre pour aider les joueurs à ancrer les bons comportements à l’intérieur de l’entreprise, ponctualité au réunion, assiduité….. et jusque dans le comportement hors du club. Chaque joueur se doit d’être ambassadeur du club, même en rentrant de l’entrainement.
Danielle – Belle exigence, qui vous honore. Avec ce système de sanctions, ne craigniez-vous pas un risque de désengagement ?
Yann – Tout dépend de la façon dont on exerce la fonction disciplinaire. L’important, c!est que le cadre soit défini et que la sanction soit juste, proportionnée à la gravité du manquement à la règle. Si c!est le cas, ce système est plutôt source de motivation car la justice, l’équité est respectée.
Danielle – Une main de fer dans un gant de velours ?
Yann – En effet. Le respect, sous toutes ses formes, est une valeur non négociable. Le rugby est un sport rude où les joueurs s’exposent, physiquement parlant. Et les gabarits physiques sont très différents. En fonction de leur rôle sur le terrain, les joueurs peuvent mesurer de 1 mètre 60 à 2 mètres 15 et peser de 70 à 150 kilos. Or tous sont invités au jeu comme au placage et il faut un certain courage, quand on fait partie des petits minces pour plaquer les joueurs les plus puissants.
Danielle – Du courage, c’est exactement cela. Le courage de chacun au service de la victoire de l’équipe.
Yann – Oui, c’est ce courage pour prendre des risques qui provoquent l’émotion et transforment les spectateurs en supporters. Dans nos métiers, la victoire a la chance d’être visible, elle doit être partagée par les joueurs bien sûr mais aussi par toute une communauté : staff, salariés, supporters, partenaires, actionnaires, bénévoles…. Et c’est parce qu!il y a une prise de risque de chacun dans cette communauté que l’équipe force l’admiration, l’émotion et ces émotions sont d’autant plus grandes et nourrissantes qu’elles sont partagées.
Danielle – Comme en entreprise. S’il n’y a pas de prise de risque de chacun au service de l’équipe, il n!y a pas de performance collective. Il arrive que les plus courageux, s’engagent dans la voie de la performance, jusqu’au dépassement de soi, tirant l’équipe vers le succès pendant que d’autres se laissent porter : ça ne peut pas produire le même effet que quand tous prennent le risque de l’engagement au service de l’équipe.
Merci beaucoup, Yann, de ce partage de la réalité d!une équipe de rugby, inspirante pour le coaching d’équipe en entreprise.